FRED ASTON
… dans l’Almanach Miroir-Sprint 1947
Miroir-Sprint publiait à la fin 1946, un almanach du sport. Georges Pagnoud était le rédacteur et le maquettiste Robert Jacquemin. Cela se passait, il y a presque 60 ans, la boxe avait son idole, Marcel Cerdan ; en cyclisme Louison Bobet pointait son nez, Jean Robic … qui n’avait pas encore son surnom de Biquet était dénommé « Don Quichotte »,
le football venait de connaître une finale de Coupe de France « Lille – Red Star », Ben Barek, Darui, Aston était les footballeurs en vue, d’une année magistrale, l’Equipe de France ne venait-elle pas de réaliser en 45-46, un beau triplé sur trois grandes nations du ballon rond : Tchécoslovaquie, Autriche et Angleterre.
Deux pages étaient consacrées à l’homme du Red Star, Fred Aston qui venait de changer de « casaque », en prenant le chemin du S.C.O. d’Angers.
Nous reproduisons le papier de Pierre Mendelssohn et les photos illustrant ce document.
« A quelques minutes de Paris, en banlieue nord, il existe encore des coins où l’on a peine à se croire si près des grands boulevards. On découvre, tout à coup, en dehors de la Nationale, un petit village tranquille, avec son église modeste, ses petites boutiques fanées, ses trottoirs raboteux, ses petits jardins, ses maraîchers.
Une ancienne ferme, dont la grange existe toujours. Il n’est pas besoin d’un grand effort d’imagination pour faire revivre le décor d’autrefois … La cour pavée, où picorent des poules nonchalantes, à la place du jardin aux massifs de dahlias ; une écurie ou une remise, à la place du hangar transformé en atelier ; un bâtiment court et trapu, à la place de l’élégant pavillon en bordure de rue … C’est dans ce coin champêtre que vit un sage, qui est un grand champion.
Car Fred Aston est un sage ! … En le voyant, sur le terrain, en admirant sa science et sa technique, on devine sa vivacité d’esprit et son intelligence. Mais, en allant le surprendre chez lui, en bavardant avec lui toute une matinée, on est vite conquis par son bon sens, qui se manifeste dans sa façon de conduire sa barque et par sa finesse, qui apparaît dans ses propos et se reflète dans ses yeux rieurs.
Comme nous tous, Fred, a été un gamin joueur, aimant la balle aux pieds, en s’exerçant au besoin, avec un caillou … Ça n’arrange pas les chaussures, mais son oncle est cordonnier !
D’ascendance anglaise, comme son nom l’indique, il demeurait à cette époque à Chantilly, capitale du turf, où entraîneurs, jockeys et lads, ont toujours rivalisé d’esprit sportif et organisé des équipes de boxe, de cyclisme et de football.
Débuts modestes dans la vie. Débuts rudes qui trempent les énergies et forment les caractères. Fred était télégraphiste. Puis, il monta à la conquête de Paris … en allant travailler chez son oncle, le cordonnier !
Ça, c’était la tâche quotidienne et monotone, avec le trajet journalier Chantilly Paris, et retour.
La détente, la grande joie, c’était le football. Venant à Paris tous les jours, pour son travail, jouant tous les dimanches, comme « inter » dans l’équipe locale de Chantilly, Fred s’inscrivit, un beau jour, au concours des jeunes footballeurs … et fut classé premier.
Et c’est ainsi que, tout naturellement, il s’en fut au Red Star, dès le début du football professionnel. Gamblin lui offrit, en 1932, son premier contrat à 500 F par mois, après toutefois, un match d’essai, contre une équipe allemande.
Tout en étant professionnel, il me fallait bien continuer mon métier, pour vivre … Depuis, j’ai toujours continué à travailler. Car le football, qui est avant tout un jeu, un sport, une source de joie, n’est pas un moyen de faire fortune, que l’on soit pro ou amateur…
Que les recettes soient moyennes ou formidables, le joueur n’a que sa mensualité qui s’augmente d’une petite prime pour les parties gagnées. Et puis cela n’a qu’à temps ! …
Et nous voici à l’ « usine » Fred Aston. Il ne s’agit pas bien sûr, d’un établissement de première grandeur, d’un trust, d’une ruche bourdonnante ! … C’est bien plus sympathique. Cette petite entreprise familiale, artisanale, est fort simplement, mais très adroitement installée. Sous le hangar, des tables en bois blancs, pour le pliage ; le long du mur, une machine multiplie avec son moteur électrique, pour la fabrication ; à l’autre bout, un massicot, pour le coupage. Tel est l’outillage nécessaire à la fabrication d’articles en papier, de ces petits sacs dont la pénurie fait pester bien des ménagères.
Du ballon en cuir au sac en papier, voilà l’activité de Fred Aston, puissamment aidé par sa jeune femme, que nous surprenons en train de conduire la machine qui d’un côté dévore des rouleaux de papier d’emballage et restitue, de l’autre, des sacs tout confectionnés. Cette entreprise est dirigée par notre champion, qui en est, tout à la fois le directeur, le représentant, le technicien et le livreur … Et, s’il lui manque deux doigts de la main droite, c’est qu’un fâcheux coup de massicot les lui a sectionnés, voici neuf ans déjà.
Aussi l’atelier est un domaine interdit au bon petit diable qui règne cependant en aimable despote, sur toute la maisonnée. Ce petit tyran jouer, rieur, blond, rose et fort, est âgé de dix-huit mois. C’est Jean-Pierre Aston, le dernier né de ce ménage heureux. Jean-Pierre jouit d’incontestables privilèges. Il a, entre autres, le droit de monter debout, sur le bureau de son papa, et de piétiner les commandes, voir même, de renverser le vase de fleurs ! …
Et quelques minutes après midi, voici, déjà sérieuse, avec, déjà un bien joli sourire, la grande, qui s’en revient de l’école. C’est Danielle, qui du haut de ses huit ans, sert de deuxième maman à Jean-Pierre
Entre sa femme et ses deux enfants, travaillant à son entreprise, jouant au football, enfermant son bonheur dans ce calme pavillon de banlieue, Fred Aston coule des jours heureux.
Le cinéma, avec des films américains d’action, la pêche avec quelquefois un brochet sont des distractions simples et saines.
Cette vie si calme, si équilibrée, représente le paisible bon sens des gens de chez nous. C’est la vie d’un grand champion, qui, à trente-quatre ans, a su rester un sage : le sympathique Fred Aston.
Son existence de footballeur vient de se transformer. Il a quitté le Red Star où il était depuis onze ans pour porter les couleurs du S.C.O. Angers. Il change de maillot mais pas de vie … Ses obligations dominicales terminées il reviendra vers ce coin champêtre de banlieue, le seul où il trouve le vrai bonheur.
Ce bonheur que le football a contribué à assurer et que ses souvenirs du stade étaieront encore, longtemps après que Fred se sera retiré du sport actif.
Mais, rassurez-vous, ce n’est pas demain la veille … »
A gauche : « Un peu d’eau, un tour de manivelle par Jean-Pierre et les livraisons vont commencer ». A droite : « Jean-Pierre a bon appétit. Et il s’occupe peu des soucis de son papa »
A gauche : « Mme Aston aussi met la main à la pâte et est pour son mari une auxiliaire précieuse » A droite : « Le football n’est pas tout pour Aston. Il pense à l’avenir et il a pris la succession de son beau-père »
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