On va vous raconter une petite histoire. Gentillette, sans trucs, ni machins. Elle ne devrait pas faire pleurer dans les chaumières. C'est vrai : tout finira bien. C'est l'histoire d'un supporter modèle. Il s'appelle Fernand Lalague. On l'appellera monsieur Fernand. C'est plus commode et puis, d'ailleurs entre gens de sport il n'y a pas de manières à faire, c'est bien connu. Il a trente ans, monsieur Fernand, une bonne tête, une langue pour parler, une femme comme tout le monde, des mains pour travailler, il est manutentionnaire dans une imprimerie près de la gare de l'Est, un hôtel meublé où coucher, et surtout une passion dans la vie : le football.
On a rencontré monsieur Fernand un soir de la semaine dernière. A Saint-Ouen. Sur les gradins du stade municipal. Pendant la mi-temps d'un match à franchement dire sans grand intérêt. Et pourtant, monsieur Fernand, lui, il avait le cœur qui cognait sous l'émotion.
"C'est plus fort que moi, dit-il, à chaque fois que je vois jouer le Red Star je suis comme un gosse. C'est une impression bizarre. Je tremble, j'ai peur, je vis, quoi ! Ca fait cinq ans que ça dure. Avant j'étais à Troyes. Pas pareil. Faut dire que je jouais à l'époque. Je suis sûr que m'entraînant un peu, eh bien …. En fait, j'ai toujours eu la mentalité d'un footballeur professionnel. L'inconvénient, c'était mon style. J'étais un peu lourd sur le terrain, vous voyez ce que j'veux dire.
Toujours est-il que lorsque je suis arrivé à Paris, j'ai pas insisté. Non c'est vrai, faut faire un choix à un moment donné. Moi, ma place, elle est ici. Le cul sur la chaise. Mais j'en étais au Red Star. Ah ! ça oui, c'est mon équipe favorite. J'ai tout de suite eu un faible. C'était, j'm'en souviens, à l'occasion d'un match contre Rennes. Y'a au moins cinq ans, oui. Depuis j'suis fidèle. Faut dire que l'ambiance à Saint-Ouen, elle est extra. Rien à voir avec le Parc, où tout est froid. A Saint-Ouen, au moins le supporter comme moi, il sait qu'il ne vient pas pour rire".
Le match reprenait, qui aussitôt, absorbait monsieur Fernand. Plus tard, chez Paul, un café, juste en face du stade.
"Vous voyez, eh bien, moi, je ne comprends pas les gars qui viennent au foot et qui se taisent. Ceux qui vont voir Johnny Halliday ne se privent pas pour gueuler. Mais, c'est normal. Moi, mon idole, c'est le Red Star. J'suis mordu et j'estime logique d'encourager les joueurs. Ceux-ci sont mes amis, d'ailleurs. Tous me connaissent. Faut dire que je vais les voir parfois, après le boulot, à l'entraînement. C'est important de suivre les entraînements. On se rend compte de ce qui gaze et ne gaze pas dans l'équipe. Et puis, les gars s'habituent à vous, à votre voix. C'est payant. Tenez, une fois, j'ai crié : Garcia, Garcia, Garcia ! .. pour que celui-ci rentre sur le terrain à la place de Pintenat, eh bien, une minute après Garcia, il rentrait. Tomazover m'écoute souvent. C'est un homme bien, ouvert. N'empêche que mon meilleur ami, c'est Laudu. C'est pas marrant ce qui arrive à Christian en ce moment. Il est sur la touche et il va s'en aller. Mais j'peux pas vous dire où. C'est un secret.
Mais, c'est bien ce que je disais : il est indispensable d'avoir la confiance des joueurs. Au Red Star, les joueurs sont très sensibles. Ainsi Magnusson auquel j'ai donné une photo un jour, on le voyait avec Skoblar, et qui depuis me salue avec gentillesse. C'est un chic type. Et Gonzales aussi, et Combin, ah ! Nestor, quel personnage ! C'est quelqu'un ! Monsieur Brès, le président, bien sûr, je connais également. "
En moyenne, monsieur Fernand dépense 500 F par mois pour le football. a quelques chiffres près, le tiers de son salaire (1 600 F). On avait juste le temps de s'étonner.
"Je sais, je sais, dit-il, ce que vous pensez … Mais je sais aussi combien le football me rapporte en échange. Tenez, si j'avais du fric, je ferais les déplacements avec le Red Star. En attendant, je me paie régulièrement des présidentielles. Là encore, c'est un choix à faire. Dans les virages, on ne voit rien. On est loin de l'action. Le match vous échappe. Alors je préfère mettre un billet de plus et être bien placé. Le foot, d'ailleurs c'est ma seule sortie. J'ai vu mon premier match à sept ans. On ne se refait pas.
Non, j'essaie toujours de peser le pour et le contre. Ca m'arrive très souvent d'applaudir l'autre équipe. J'suis sport, et je n'admets en aucun cas la violence sur les terrains et dans les tribunes. Le foot, c'est un spectacle. Les joueurs sont payés cher, et alors ? Faut pas être jaloux. Pour moi, c'est régulier. C'est eux qui font le spectacle. Faut pas l'oublier."
Hier dimanche, monsieur Fernand a quitté sa femme ("Oui, elle n'aime pas ça !") vers onze heures. depuis la place de la République, il s'est rendu en métro jusqu'à Saint-Germain-en-Laye. Puis il a pris un autocar qui l'a conduit au stade du camp des Loges. Au menu dominical de monsieur Fernand : Paris Saint-Germain - Le Mans, match de Division III.
"Faut pas être sectaire, dit-il. Y'a pas que Saint-Ouen et le Red Star. Je connais tous les stades et toutes les équipes de la région parisienne. Mais ça aussi, c'est payant ! Souvent, je recommande des joueurs à Tomazover. Bref, j'ai l'impression de représenter un peu les intérêts du Red Star. Bientôt, je passerai une soirée d'après-match avec mes amis les joueurs. ils me l'ont promis."
Monsieur Fernand qui n'a jamais pleuré pour une invitation, aura alors réalisé son rêve. Fin de l'histoire".
Dominique Grimault
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