DEFENSEUR AU SERVICE DU COLLECTIF
Abrahim Tounkara et Vincent Fourneuf, l’axe central de la défense du Red Star FC 93
A 24 ans, Abrahim Tounkara vit un rêve de gosse. Titulaire depuis quelques mois dans l’équipe première du Red Star FC 93, il bénéficie chaque week-end du soutien de ses copains du quartier Blanqui. Pourtant, la réussite ne lui monte pas à la tête car il sait que le plus difficile, c’est de rester au sommet.
« Ibou, Ibou, Ibou ! ». Dans les tribunes du mythique stade Bauer, à proximité de son quartier de toujours, les supporters et les amis d’Abrahim Tounkara donnent de la voix. C’est que le défenseur central du Red Star s’est fait un nom et un surnom depuis qu’il a intégré l’équipe première du club audonien. « J’ai participé aux cinq derniers matches de la saison dernière, explique-t-il. Je jouais en réserve, jamais je n’aurais pensé intégrer l’effectif de Jean-Luc Girard. Soudain, tout s’est précipité : avec les suspensions et les blessures, j’ai eu ma chance en équipe première qui jouait la montée en CFA 2 et je l’ai saisie. » Avec succès, puisque le Red Star a retrouvé le championnat de France amateur et qu’Abrahim n’a plus quitté la défense centrale.
Du haut de son mètre quatre-vingt-trois, le Français d’origine malienne inspire le respect à ses adversaires. Plutôt réservé, ce joueur de l’ombre se transforme en pitbull sur le terrain. Son rôle préféré ? S’ingénier à faire déjouer les attaquants adverses. « Mon boulot consiste à museler l’avant-centre, confie-t-il. Moins on le voit, mieux je me porte ».
A bonne école
Abrahim a passé toute son enfance dans les tribunes du stade Bauer à la glorieuse époque du Red Star. Celle des Domoraud, Girard, Marlet, Thimothée, Meïté … « Lorsque Marseille venait à Saint-Ouen, c’était le rendez-vous des grands soirs. Chaque match représentait une finale de Coupe de France, on venait avec nos écharpes rouges et vertes, fiers de supporter notre équipe. »
Pourtant, à l’époque, le gamin de Blanqui quitte les vertes pelouses du Red Star pour jouer à l’USMA, l’autre club audonien. « J’ai suivi les copains du quartier, on était inséparables », avoue-t-il. Un épisode de sa vie de footballeur sur lequel il ne souhaite pas s’appesantir aujourd’hui …
Car Ibou n’aime pas ressasser le passé. Lorsqu’on lui parle de scolarité et de réussite extra-sportive, il préfère oublier ces stages d’électronicien et d’animateur, car le jeune homme, aîné d’une famille de cinq enfants, a beaucoup de choses à partager.
Depuis janvier, il fabrique des pizzas pour une grande enseigne de plats à emporter. Un petit boulot qui lui laisse le temps de vivre sa passion. « Le foot, c’est un moyen unique de me libérer du quotidien », confesse-t-il. Même si parfois, dans les tribunes, le quotidien se rappelle à lui de manière brutale. « J’ai un jeu plutôt physique qui ne plaît pas au public adverse, il utilise souvent la haine et le racisme pour nous déstabiliser », regrette-t-il. Les insultes pleuvent, du genre qu’on aimerait ne plus entendre sur un terrain de sport. « Ce sont des gens qui se trompent de colère, tempère le défenseur. Entre joueurs, il n’y a pas ce genre de problèmes. Il faut continuer à se battre contre le racisme sur et hors du terrain pour que les choses changent enfin. »
Un citoyen responsable
Abrahim Tounkara espère qu’il ne faudra pas attendre un drame comme celui de l’hôtel Opéra pour que des gens se sentent concernés par le racisme. « Tous ces gens de couleur qui sont morts dans les incendies de ces dernières semaines, ça m’a retourné, déplore-t-il. Il a fallu des cadavres pour qu’on s’intéresse au sort de tous ces gens misérables, c’est une honte. »
Ibou s’affirme comme un citoyen responsable. Lorsqu’il porte le maillot vert floqué de l’étoile rouge, il ne peut s’empêcher de penser à ses illustres aînés. « Le Red Star, c’est le club de ma ville, de ma vie, affirme-t-il. Notre rôle, c’est de perpétuer l’histoire et de continuer à faire rêver les gens. » En CFA 2, chaque week-end, les clubs qui jouent le Red Star ont l’impression d’avoir rendez-vous avec l’histoire : « C’est comme s’ils jouaient Madrid ou Marseille, c’est une finale à chaque fois. » Dans ces conditions, pas question de s’enflammer, malgré un début de saison tonitruant : « Le plus difficile dans le football, c’est de rester au sommet. Demain, un autre joueur peut prendre ma place, c’est la loi du sport, il faut l’accepter et travailler sans cesse pour rester au meilleur niveau. »
Et si le Red Star de la génération Tounkara écrivait une nouvelle page de la riche histoire du club audonien ?
Steeve Fauviau
© A Saint-Ouen 2005
« Il faut continuer à se battre contre le racisme, sur et en dehors du terrain pour que les choses changent enfin » Abrahim Tounkara.
(Photo prise devant l’hôtel Opéra, à Paris quelques heures après le drame)