La saison des transferts est largement entamée. La curiosité devant les nouveaux arrivants se mêle au regret du départ de certains. Des joueurs arrivent, d’autres partent. C’est la loi de cette période charnière, loi particulièrement marquée au Red Star où la rotation est forte. Cette année encore, des joueurs emblématiques, importants, de vestiaire ou simplement de passage ne sont pas retenus. Tristesse ou satisfaction de les voir partir. Rarement indifférence. Ces joueurs, les bons comme les mauvais, on les a appréciés ou supportés (au sens français du terme), ils nous ont fait vibrer ou enrager durant toute une saison. Alors forcément, difficile d’être indifférent à leur sort.
Le supporter moyen, qui n’est pas plus idiot qu’un entraîneur ou qu’un président moyen, peut comprendre sinon accepter, que certains de ses chouchous passent à la trappe. Cédric Sabin ? Un peu moins vif, un peu moins percutant, un peu plus âgé, nous dira-t-on. Jean-Christophe Bouet ? Fragile du dos, quelques matchs ratés, volonté de trouver encore mieux. Jean-Jacques Mandrichi ? Un but d’entrée, deux à la sortie, rien au milieu, trop peu pour continuer ; etc. Toutes ces décisions se discuteront toujours au comptoir. C’est pour ça que l’Olympique existe en face du stade. In fine, le boss c’est le club (j’englobe tout le monde dans le même vocable par commodité), notre supporter le sait.
Si des joueurs sont priés de faire leur baluchon et de partir sur les routes pour vendre leur talent ailleurs, le supporter moyen – surtout au Red Star - ne les oublie pas. Car un supporter, derrière sa cannette de bière, c’est un sentimental, mon bon monsieur. Il vit de ses souvenirs qu’il accumule match après match, espérant chaque week end la pépite (le scénario improbable, la victoire écrasante, le match de coupe ou couperet victorieux) qu’il mettra en vitrine de sa mémoire vive durant de longs mois et qu’il fera revivre longtemps dans son stade intérieur. Les joueurs sont les acteurs irremplaçables de ces grands souvenirs qui nous font venir et revenir au stade durant des années, parfois la vie entière.
Notre supporter moyen, en cette saison et comme chaque été, se renseigne, s’informe. Il regarde le site officiel du club. Et là, malaise. Seule la colonne « Arrivée » existe. Il n’y a pas de colonne « Départ ». Car dans la communication du club, les partants ne sont pas des partants mais deviennent des disparus. Du jour au lendemain, plus rien. Rayés des cadres, rayés des rubriques. Effacés d’un clic droit, sans procès ni préavis. C’est par le silence et la disparition de son nom que nous apprenons qu’untel ne fait plus partie de l’équipe.
Aucun faire-part, aucune information, aucun éloge funéraire, aucun remerciement. Comme du temps du stalinisme, les exclus, les purgés, disparaissent de la Pravda pour ne jamais y reparaitre. Que deviennent-ils ? Mystère. N’existent plus, vous dit-on ! A se demander s’ils ont jamais existé en effet. Jean-Jacques Mandrichi sauve le club de la relégation de deux buts rageur de corse que l’on a dérangé dans sa sieste ? Une fois l’article sur ce match épique sur le site avec photo légendée, c’en est fini du corse. Plus un mot. Dehors et même pas merci. Idem pour les autres. Silence internétique sidéral. Et il en va ainsi pour tout le monde sans distinction, joueurs, dirigeants, éducateurs ou entraîneurs. Souvenez-vous d’Alain M’Boma, de fait l’entraîneur de la montée en national. Disparu sans un mot. Et Vincent Doukantie, bon soldat, qui a repris et sauvé une équipe à la dérive l’an dernier et maintenu une équipe aux ressources limitées cette année. Pas un mot, pas un article, pas un remerciement, pas un bilan. Il reste au club certes. Mais s’il était parti, c’eut été pareil. Silence radio. Cette manière d’agir a un nom : l’ingratitude.
Cette attitude trahit un manque d’élégance et un défaut de qualité humaine, mais également une erreur de base pour des pros de la communication. En somme, une erreur morale et professionnelle.
Erreur morale d’abord.
Admettons les poncifs du genre « c’est partout pareil », « y’a pas de sentiment dans ce milieu ». Peut-être vrai, bien que les exceptions ne doivent pas être rares. Et cela ne justifie rien. Comment le club peut-il vanter son action envers les jeunes (honorable par ailleurs), évoquer les « valeurs » morales et sportives du club quand des principes aussi élémentaires que la reconnaissance du travail accompli et le respect des anciens (B-A BA de la vie en communauté) sont oubliées de la sorte ? Est-ce cette ingratitude que le club entend transmettre aux jeunes qu’il entend encadrer ? Comment être crédible quand on pratique le « faites ce que je dis, pas ce que je fais ? » ? Et comment parler de « famille », de « la grande famille du Red Star » quand on traite ainsi les aînés ? Manque totale de lisibilité. Quelles que soient les raisons que l’on invoquera pour expliquer ce comportement, celles-ci ne sont pas recevables. Les responsables du club gagneraient à regarder plus attentivement les sites de supporters qui, sans arrière-pensée et par seul plaisir, participent à la communication publique sur le club. Ils y verraient un grand respect pour les anciens joueurs. Et pas seulement pour les légendes à casquette et à short long sur photo noir et blanc vieilles d’un demi-siècle ou plus, prise de la butte et de l’usine Ferrodo. Non, le respect des supporters d’aujourd’hui s’exprime envers leurs contemporains, joueurs de ces dernières années, les humbles, les méconnus, les amateurs qui ont ramé pour remonter le club de la division d’honneur au national. Sur ces sites communautaires, ces inconnus ne deviendront jamais des ignorés ou des disparus pour les supporters. Un valeureux défenseur du temps de la CFA2 se blesse la cheville avec son club actuel ? Sa photo sur son lit d’hôpital apparait avec un message de soutien. Il a pourtant quitté le club il y a cinq ans. Cette manière de se souvenir, de saluer la contribution passée d’un joueur est une vertu, une qualité humaine précieuse. Cela s’appelle la reconnaissance. Un sentiment noble et naturel chez notre supporter moyen, qui mériterait certainement d’être transmis aux jeunes du club.
Erreur professionnelle également.
Le site d’un club, c’est un outil de com’. Notre supporter moyen en constitue la « cible » marketing au même titre que la ménagère de cinquante ans est le cœur de cible de TF1. On l’a vu plus haut, notre « cible » n’est pas un ingrat. Or la base de la stratégie de com’, fut-elle à deux balles, est de connaître son client afin de lui plaire afin d’en faire un lecteur assidu, voire un consommateur satisfait sinon docile. A ce point du raisonnement, une question s’impose. Comment notre supporter moyen, pourtant bien orienté, gobera-t-il les articles sur écran glacé vantant le « projet », « l’aventure humaine », le pouvoir d’attraction d’un « club chargé d’histoire » si, dans le même temps, le club jette aux oubliettes les acteurs de son passé immédiat pour ne faire briller que le présent et l’avenir ? Incompréhensible. Il ne faudrait pas prendre notre camarade moyen supporter pour un abruti complet…
Cette erreur est d’autant plus étonnante que le président du club est un homme de com’. Sa société prospère en France et à l’étranger. C’est un bon pro. Trop peut-être, tant on a l’impression parfois que sa parole n’est que communication. Et pourtant, c’est aussi un homme de passion. On ne met pas autant de temps, d’énergie et d’argent dans un club de football sans être passionné. Cette année, tout laisse espérer que nous aurons une belle équipe. Patrice Haddad a manifestement fait un effort financier supplémentaire pour monter une équipe ambitieuse. Nous nous en réjouissons. Et, pas ingrats pour deux sous, nous lui en sommes reconnaissants. Mais un grand club, un club d’histoire, de passion, une « grande famille » est un club qui a des valeurs et des manières. Un tel club honore ses anciens membres, a une pensée pour eux, les réunit à l’occasion. Il n’est pas interdit d’être élégant, même dans le foot.
La reconnaissance, la gratitude, sont des qualités humaines qui feraient le plus grand bien à l’image du club et à celle de ses dirigeants - compétents par ailleurs. La reconnaissance en plus ne coûte rien, ça ne s’achète pas. Espérons que ce ne soit pas cela le problème.
Marcel de la Butte