LE PARISIEN  RED STAR 93

Nous reproduisons l'ensemble de la double-page paru, dans le Parisien, du 1er juin 2001:

Pourquoi le Red Star de Bras est tombé si bas

Candidat le plus légitime au statut de club résidant du Stade de France, aux portes de la Division I il y a sept ans, le club de Saint-Ouen, relégué en CFA, n'en finit plus de sombrer. La gestion de son patron Jean-Claude Bras est remise en cause. Enquête

LE RED STAR, fondé en 1897 par Jules Rimet, est aujourd'hui un centenaire mal en point, au souffle court, qui traîne ses désillusions. Le mythe a disparu, évaporé. Le stade des beaux jours, rue du Docteur Bauer à Saint-Ouen, est une coquille vide, en piteux état. Depuis cinq ans, l'équipe première s'est retirée au stade Marville, à Saint-Denis, et creuse sa tombe dans l'indifférence générale à quelques centaines de mètres du Stade de France. La saison 2000-2001, qui devait être encore une fois celle du renouveau, est un fiasco. Malgré un budget de plus de 30 millions de francs (4 573 470 €), le plus important de tous les clubs engagés dans le National, le Red Star a subi 23 défaites et évoluera l'année prochaine en CFA (Championnat de France amateur, équivalent d'une 4 e division). Conséquence de cette relégation, il va perdre son statut professionnel et donc le droit de posséder un centre de formation agréé par la fédération. Promis au rang de deuxième grand club francilien, le gâchis est immense, le bilan indéfendable. En cause, la gestion de son patron, Jean-Claude Bras, 56 ans. La faillite sportive du club est la sienne. Lors de la saison 1977-1978, l'ancien international participe à la renaissance du Red Star après sa mise en liquidation judiciaire. Il mène parallèlement une carrière d'homme d'affaires, s'engage avec le conseil général de la Seine-Saint-Denis et lance un plan de conventionnement à l'échelle du département. Au milieu des années quatre-vingt-dix, le Red Star flirte avec la Première Division. Mais les erreurs de recrutement se multiplient, brisant à chaque fois l'élan d'un club qui commence seulement à tirer les bénéfices de sa formation. « Bras était rarement présent, confie un cadre de l'époque, mais c'est lui qui prenait toutes les décisions. Le comité directeur ne servait à rien, juste à entériner ses choix. » De 1989 à 1996, le conseil général du 93 versera près de 110 millions de francs (16,7 millions d'euros) de subventions au Red Star sans jamais s'inquiéter de la façon dont sont utilisés ces fonds. En 1998, Jean-Claude Bras est mis en examen pour « abus de biens sociaux et corruption » dans l'un des volets de l'affaire du Crédit lyonnais et incarcéré pendant quarante jours. Dans la foulée, la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France relève les premières irrégularités de gestion. A chaque fois, Bras criera à la manipulation.
Des péripéties judiciaires en rafale Ce sera encore le cas dans le douloureux et très opaque dossier de candidature au Stade de France qui, de l'avis même de son président, va entraîner le Red Star sur la mauvaise pente. Tous les projets et toutes les tentatives d'ouverture du capital pour investir ce lieu de convoitise se soldent pas un échec. Pour Patrick Braouezec, député-maire de Saint-Denis, « la personnalité de Bras n'a pas facilité les choses. Il a fréquemment changé de discours ». Bras se défend en précisant qu'on a voulu dénaturer l'identité du Red Star. Ses détracteurs rétorquent qu'il n'a agi que pour lui-même. Malheureusement, le club vit au rythme des péripéties judiciaires de son président et ce n'est sans doute pas fini. Le 27 novembre prochain, Bras passera devant la 15 e chambre du tribunal correctionnel de Bobigny pour soustraction frauduleuse au paiement de ses impôts. Montant de la facture : 12,8 millions de francs (1,8 million d'euros). Ce délit est passible de cinq années d'emprisonnement et de 250 000 F (38 112 €)d'amende. Enfin, le dossier des emplois jeunes du Red Star commence à inquiéter sérieusement la direction départementale du Travail. Au milieu de ce marasme, le Red Star n'a plus grand-chose à quoi se raccrocher. Le Stade de France restera un mirage et le conseil général, jusqu'à présent grand partenaire du club, négocie avec la mairie de Saint-Ouen pour que l'équipe première puisse réintégrer le stade Bauer.

Frédéric Michel

LE SPECIALISTE DES RENDEZ-VOUS MANQUES

DEPUIS 1978 et l'arrivée de Jean-Claude Bras à la tête du Red Star, l'histoire du club a subi une multitude de rebondissements. Rétrogradé de Division II en Division d'Honneur après sa mise en liquidation suite à une dette envers une caisse de retraite évaluée à 46 260,45 F (7 052,36 €), le Red Star connaît d'abord trois accessions en quatre ans. En 1982, son retour en D II sous les ordres de Georges Eo, puis d'un certain Roger Lemerre, marque le début d'une nouvelle ère. Mais ce n'est réellement qu'au début des années quatre-vingt-dix que le club de Saint-Ouen franchit un nouveau palier. Il passe même tout près d'atteindre les sommets. Mais, par deux fois, l'équipe alors dirigée par le tandem « stéphanois » Herbin-Repellini échoue étrangement dans la course à la Division I. En 1993, le Red Star termine à la quatrième place (à trois points de la montée) après avoir perdu ses trois derniers matchs de la saison, dont deux face à Ancenis et Lorient, les deux derniers... L'année suivante, malgré les 23 buts de son attaquant vedette Samuel Michel, le club boucle la saison au cinquième rang, à quatre points seulement de la D I. A l'époque, ces deux échecs jettent le trouble dans l'esprit des supporters. Beaucoup reprochent alors à la direction du club d'avoir « sacrifié » ces fins de saison. « En cas de montée, le président Bras aurait été obligé de lâcher le club, confie un dirigeant de l'époque. Avec lui, c'est difficile de travailler sur le long terme car il est imprévisible. »
« Les erreurs qui ont été faites doivent désormais servir à aider le club à rebondir » La saison prochaine, c'est de CFA qu'il sera question. On est très loin de la D I... « Les erreurs qui ont été faites doivent désormais servir à aider le club à rebondir », espère Robert Herbin, aujourd'hui retraité des terrains et qui vit une période difficile avec les relégations simultanées de Saint-Etienne et du Red Star, ses deux clubs fétiches. Pour justifier les nombreuses erreurs de recrutement et les décisions bizarres - le contrat du buteur irlandais Cascarino a été rompu après seulement deux journées de championnat - qui ont plombé cette dernière saison en National, Jean-Claude Bras a toujours parlé de « rendez-vous manqués ». Un terme qui semble décidément bien coller à l'histoire de ce Red Star-là.

Stéphane Corby

LES BEAUX DISCOURS DU PRESIDENT

A LA LUMIERE de ce qui s'est finalement produit, ces déclarations de Jean-Claude Bras prennent toute leur saveur :

Stéphane Corby

L'ETRANGE AFFAIRE DU STADE DE FRANCE

14 MAI 1997, Rotterdam. Finale de la Coupe des coupes, PSG - Barcelone (0-1). Dans l'avion qui les emmène au Feyenoord Stadion, Robert Louis-Dreyfus, homme d'affaires, Jean-Claude Darmon, grand argentier du football français, et Jean-Claude Bras planchent sur le dossier de candidature du Red Star au Stade de France (SDF). Ce projet, initié par le ministère de la Jeunesse et des Sports et soutenu par TF 1, a toutes les chances d'aboutir. Pensionnaire de la D II, le Red Star est le candidat naturel pour devenir le club résidant et éviter ainsi à l'Etat de verser plus de 70 millions de francs par an d'indemnités au consortium qui gère l'enceinte de Saint-Denis. Quelques semaines plus tôt, le président Bras a définitivement tourné le dos au projet de rénovation du Stade Bauer, reprochant à la mairie de Saint-Ouen d'avoir menti sur ses véritables intentions. La cause semble entendue. Erreur. « Le lendemain de la finale, se rappelle Bras, on se retrouve dans les bureaux de Darmon. Et là, il m'explique dans le détail comment ça va se passer. A partir de cet instant, j'ai dit non. Il n'y avait aucune garantie sur le projet sportif ni sur le maintien de système de formation. On voulait dénaturer le Red Star. Dreyfus disait : Moi, ce qui m'intéresse, c'est une équipe première au SDF, du sport spectacle . » Premiers couacs. Sur le papier pourtant, l'affaire est déjà bien engagée. Basile Boli doit occuper le poste de manager général et Gérard Gili celui d'entraîneur. Les négociations se poursuivent... et finissent par échouer. Pourquoi ? Du côté des partenaires, on évoque les exigences financières de Bras. Ce dernier affirme au contraire : « On m'a proposé de l'argent pour quitter mon fauteuil ! Un représentant du ministère m'a proposé plusieurs millions de francs. Ça se passait dans un restaurant près de la porte de Versailles. Je lui ai dit : Mais tu vas où toi ? Si, comme on le dit, il n'y avait que l'argent qui m'intéresse, j'aurais accepté. »
« On m'a proposé de l'argent pour quitter mon fauteuil ! » Charles Biétry puis Noël Le Graët, président de la Ligue nationale, se penchent à leur tour sur le dossier de candidature du Red Star. Sans parvenir au moindre accord. Indéboulonnable, Bras dépose alors, en 1998 devant la Direction nationale de contrôle de gestion (DNCG), son propre projet avec un budget de départ de 40 millions de francs (6 097 960 €). Sportivement, le club descend en National et joue un quitte ou double. « J'ai annoncé des partenaires à hauteur de 100 millions de francs (15 244 902 €), argumente le président audonien. Il s'agissait de financiers et ça se passait sur la place de Londres. Si on avait été lauréat, on n'aurait eu aucun problème ensuite pour lever la finance. » La DNCG en décide autrement et récuse le projet. Bras est amer : « On a été pressenti mais pas lauréat. Pourquoi ? Je ne sais pas. Ce que je sais en revanche, c'est que le Red Star a été instrumentalisé pour régler le problème du Stade de France. » Alors, victime ou coupable ? D'autres éléments, encore secrets, pourront-ils un jour expliquer l'échec du projet ? En tout cas, aujourd'hui, Bras est toujours président d'un club qui vient de perdre son statut professionnel.

Frédéric Michel

Stupéfaction au ministère des Sports

DANS LE DOSSIER du Stade de France. Jean-Claude Bras porte une grave accusation à l'encontre du ministère de la Jeunesse et des Sports. Interrogé à ce sujet, Serge Mésonès, le conseiller football de Marie-George Buffet, se dit "stupéfait et révolté". "Comment laisser croire que le ministère aurait pratiqué la corruption pour le compte d'investisseurs plus ou moins identifiés, affirme-t-il. On est en pleine affabulation. Tout était clair et les règles du jeu connues par tous les prétendants et notamment le Red Star, club pressenti qui correspondait, selon nous, à ce que devait être le club résidant. Hélas les représentants du Red Star n'ont pas pu montrer de projet crédible malgré les déclarations du président. C'est en tout cas ce qu'à conclu la DNCG à l'époque. Alors chercher un feuilleton rocambolesque pour dissiper sa propre incurie est proprement scandaleux. Le ministère est au-dessus de tout soupçon sur cette question. Il a toujours eu en vue l'intérêt général, celui du football et du contribuables.

Propos recueillis par La C.

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